Willoos

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Biographie

René Lejeune est né à Saint-Hubert le 12 mars 1946. En 1968, il fréquente l’Académie des Beaux-Arts d’Alost. Ordonné prêtre en 1971, il entreprend des études de philologie romane à Louvain.

De 1975 à 1987, il enseigne la littérature et l’esthétique au séminaire de Bastogne. En 1988, il quitte la Belgique pour le Pérou. Il s’engage au sevice d’une paroisse de la banlieue de Lima pendant trois ans. De 1991 à 1993, il est à la fois curé de Thon-Samson, professeur à Andenne et inspecteur des cours de français.

Depuis septembre 1993, il vit à La Roche-en-Ardenne, dont il est le curé-doyen.

En 2002, il visite l'Algérie et le contact avec ce pays apporte à son travail un supplément de lumière.En 2004, il part vivre aux Etats-Unis.

Deux passions habitent René Lejeune : la peinture et l’écriture. Connu comme peintre sous le pseudonyme Willoos, il a été l’élève de Marie Howet. Il expose depuis 1977. En outre, il n’a jamais cessé d’écrire. La forme du journal, en particulier, lui a permis de donner à connaître ses expériences de voyageur, d’écrivain et de peintre.

Aux antipodes de la peinture ardennaise

Rude région que l'Ardenne, célébrée par des écrivains et des peintres qui s'avouèrent fascinés par sa majesté quelque peu sauvage et séduits par cette terre chargée de mystère et de légendes. En peinture, Albert Raty en a sans doute le mieux exprimé l'âpreté, Richard Heintz l'éclatante couleur et Marie Howet la douceur de ses vallées. Mais voici un peintre-écrivain, natif de Saint-Hubert qui, touché par la grâce, crée un monde aux antipodes du paysage ardennais, du terroir ardennais, de la lumière drue qui baigne plateaux, forêts et vallées.

Deux, trois traits remarquables sautent aux yeux de quiconque tombe en arrêt devant les toiles de Willoos : l'apparente simplicité des sujets, les tons échappés d'une curieuse alchimie chromatique, la sobriété et le subtil arrangement de la composition. La mémoire visuelle est en alerte, elle enregistre, elle saisit ces composantes qui provoquent au surplus une sensation de contentement et de plénitude.

Dira-t-on assez combien cette instantanéité, lors de la "reconnaissance" de ce que l'on ne connaît pas encore, est l'un des attributs les plus précieux de l'art ? Qu'un tableau vous semble familier, que vous vous sentiez en secrète connivence avec son auteur se traduit par ce que l'on appelle communément le coup de coeur. Passé ce moment de charme, l'on est conduit à approfondir sa vision, à découvrir les ressorts cachés de l'oeuvre. Le côté magique d'un tableau, d'un dessin, d'une sculpture est de ne laisser personne indifférent. Conquis (ou rebuté), l'on analyse les raisons de son attirance ou de son rejet. La simplicité apparente des toiles de Willoos, qu'il s'agisse de portraits, de paysages, de natures mortes, de scènes animées, la candeur enjouée de ses personnages résultent à la fois d'une imagination soutenue, d'une grande culture artistique, d'une certaine influence sud-américaine, et de moyens techniques autonomes, voilà de quoi exciter la curiosité de l'amateur d'art.

Que dire de sa technique ? Willoos prépare ses toiles en les passant au noir, tout bonnement. Un tableau ne lui plaît pas ? Pour repartir à zéro, il le recouvre d'une couche de noir. Ce fond, qui est la somme de toutes les couleurs, va donner à ses traits, à ses aplats délicatement pastellisés une intensité un peu troublante. On songe aux "éclairages" de Hopper, Hockney et, chez nous, Arsène Detry.

Hockney, précisément, fut pour Willoos une découverte, une influence libératrice. "Autant la paix de ses paysages californiens que l'exubérance de ses compositions pour le théâtre, ses couleurs comme son dessin, tout chez lui m'interpelle, me questionne ou me met en joie". Autres influences majeures, Matisse et Derain. Sans oublier celle de Marie Howet, l'une de nos rares artistes à avoir travaillé à Paris, aux côtés des néo-impressionnistes et des fauves. Les mutations chromatiques, si présentes dans l'oeuvre de Willoos, lui doivent sans doute une part de leurs subtils arrangements.

Ce parcours initiatique s'enrichit de l'étape de l'Amérique andine, du Pérou, plus précisément, à Lima où Willoos fut invité à s'exposer à l'initiative de l'Ambassade de Belgique. "Au Pérou, confie-t-il, comme peintre je n'avais que l'embarras du choix. Les villes s'y distinguent en effet par une richesse de coloration dont on n'a pas idée ici. J'ai vu en trois semaines la tour d'une église de Lima passer de l'outremer au rose. Et un ensemble architectural du seizième siècle virer ,en deux mois, du jaune au rose, et, de ce rose, repasser au jaune original" (Willoos, La Quadrature du Cercle Edit, 1992).

Rencontre avec Marie Howet

Un artiste peut-il en cacher un autre ? Son double, exercé dans une autre discipline que les arts plastiques, par exemple. Cette dualité est porteuse de croisements féconds, nourrie par un enrichissement réciproque. Avant d'être peintre, Willoos étudia la théologie, la philologie romane, la philosophie. La foi religieuse, la littérature, la poésie et un humanisme tempéré par le doute philosophique allaient fixer le destin de René Lejeune - curé-doyen de La Roche-en-Ardenne, professeur au Séminaire de Bastogne - alias Willoos, peintre, poète, romancier. Le destin, il est vrai, n'avait cessé de le taquiner, et les reproductions de célèbres contemporains allaient impérieusement solliciter son imagination.

L'étudiant appliqué s'accordait la part ludique du rêve, peignant de petites toiles sur le motif, s'évertuant à maîtriser une technique apte à canaliser ses recherches, à développer surtout ses dons de coloriste : l'aquarelle. Après un passage rapide en académie, la rencontre de Marie Howet lui apporte les clés de cette quête de la lumière qui lui tenait tant à coeur. Grande dame de la peinture, Marie Howet appartenait à l'imposante famille des post-impressionistes. Volontiers dogmatique, elle ne put qu'acquiescer à la voie différente, voire fort éloignée que Willoos, disciple charmé mais quelque peu réticent, emprunta avec détermination. Non sans avoir tenté l'une ou l'autre incursion dans tel "isme" bien entré dans les moeurs, l'hyperrréalisme, par exemple, qui vit le jeune Willoos pasticher avec humour les objets-symboles d'Andy Warhol. En réaction contre l'abstraction, l'hyperréalisme aura joué un rôle appréciable dans les multiples avancées de la nouvelle figuration, rendons-lui cette grâce.

Une peinture construite, empreinte de sérénité

Définir le langage pictural d'un artiste, le comprendre et le situer correctement est un exercice qui incite à la modestie. La création, si elle semble obéir à une certaine logique, n'en est pas moins soumise à des remises en question, et sa progression est parfois infléchie, contrariée, avant de reprendre son rythme. Mais l'oeuvre qui a atteint son épanouissement, sa technique propre, ses thèmes familiers, offre à l'observation un champ d'analyse où puiser des repères, dégager des constantes. Ainsi de la composition des toiles de Willoos, de leur architecture savante parce que fondue dans les aplats de couleurs.

Contrairement à la peinture impressionniste, celle de Willoos est construite, linéaire, empreinte d'une sérénité qui relève autant d'un frémissement sous-jacent que d'une rigueur réfléchie. Certains paysages, certaines natures mortes retiennent tout d'abord l'attention par leur harmonieuse distribution de l'espace. Gommons toute référence au cubisme qui serait ici malvenue.

La répartition des aplats est de nature onctueuse et l'on est ici plus proche de Matisse que de Braque. Les scènes animées, dont le personnage principal n'est pas sans évoquer parfois Monsieur Hulot (et Jacques Tati pourrait s'y reconnaître) se fondent non dans des compositions mais dans des décors d'une totale liberté encore que parfaitement rythmés grâce à d'amples lignes courbes. Ce qui permet également à l'artiste de jongler prestement avec la perspective. Au paysage mental (l'expression est la sienne), Willoos superpose ainsi des personnages jouant volontiers la convivialité, ou semblant répéter un rôle, parachevant ainsi l'atmosphère quelque peu scénique de certains tableaux.

Paysages, natures mortes, portraits, huiles, gouaches, sérigraphies, rien ne manque à une oeuvre exemplaire dans la singularité plastique et métaphysique de son message. Ce dernier trait se marque plus particulièrement dans les portraits, auxquels le dessin vigoureux, épuré, buriné dans des tons crus - souvent des verts tranchants - confère une présence un peu inquiétante, lointaine parente des expressionnistes. En adoucissant sa gamme chromatique, Willoos obtient des portraits féminins d'une grâce captive, ce qui donne toute la mesure de ce mode de perception. Le portrait - imaginaire ou d'après modèle - constitue l'oeuvre peinte la plus immédiatement captée, "identifiée" par le spectateur. Beaucoup s'y essaient, peu s'y illustrent, rares sont ceux qui ont innové véritablement, courant le risque d'une demi-réussite mais persévérant avec bonheur dans une recherche fertile. La peinture a, en quelque sorte, l'âge du portrait; celui-ci n'est-il pas le miroir d'une culture, d'une société ?

La couleur en surfaces franches cloisonnées

Annoncer la couleur : cette expression familière conviendrait à merveille à la peinture de Willoos. C'est peu dire qu'il s'est créé une "chromatologie" particulière ou, plus exactement, toute intention symboliste mise à part, une gamme chromatique aux tons clairs, principalement des verts, des rouges sertis dans des contours dégressifs, un agencement de bémols prolongeant ces tons vifs. On n'aura garde d'oublier que la couleur, chez Willoos, s'exprime en aplats, en surfaces franches cloisonnées ou non par des traits.

Technique inspirée du vitrail ? Beaucoup plus subtile, infiniment plus libre, d'une liberté proprement ludique. Ce qui surprend, et qui séduit, c'est l'harmonie intrinsèque de ces assemblages dus au hasard et à la nécessité.

Décomposant les sept couleurs de l'arc-en-ciel, l'œil parviendrait, dit-on, à distinguer 700 teintes. La confrontation consensuelle de vingt, trente nuances dans un tableau, réparties en aplats savamment modulés est sans doute l'une des caractéristiques essentielles de l'œuvre de Willoos. Cela, en rupture non seulement d'avec la symbolique des couleurs qui, depuis la nuit des temps, accompagne croyances et religions, et jusqu'à la tradition maçonnique. Il est plaisant de noter, sachant que les toiles de Willoos sont enduites de noir avant qu'il ne les entreprenne, que C.G. Jung considérait le noir comme "la couleur des origines, des commencements, des imprégnations" (Dictionnaire des Symboles, Laffont, Ed.). Voilà donc les aplats colorés posés sur un terreau fertile.

Mais, comme il a été relevé plus haut, le "chatoiement" des cités péruviennes a encouragé Willoos dans ses transmutations chromatiques. Les Amérindiens passant pour n'avoir qu'un seul mot pour désigner le vert et le bleu. Enrichi par ces visions pleines de quiétude mais aussi de mystère, Willoos s'est senti conforté dans son travail d'orfèvre de la couleur, si étroitement imbriqué dans l'œuvre qu'il développe avec maîtrise et constance.

Comment la situer, cette œuvre, par comparaison avec la résurgence des courants figuratifs ? Elle paraît contemplative, faite de mesure, de silence, d'équilibre, de retenue. D'une certaine exubérance contrôlée, dans ses natures mortes, par exemple. Plutôt stylisée dans les paysages bordés d'arbres silhouettés. Conviviale avec ses personnages pudiques, parfois candides, prêts, dirait-on, à s'effacer. Intuitive, introspective dans les portraits, où le fauvisme des couleurs souligne avec brio et gravité la personnalité ainsi dévisagée.

C'est une aventure plastique profondément originale, réfléchie mais empreinte de sensibilité que poursuit Willoos dans son atelier ardennais, au point de convergence du site dit des sept vallées.

Lucien De Meyer